
Reconnaissance des territoires traditionnels
Honorer les peuples autochtones du passé, du présent et de l'avenir
par Louise Deglin
Les reconnaissances de territoires traditionnels sont devenues courantes dans le monde universitaire aux États-Unis et au Canada, et surtout dans le domaine des sciences humaines. Mais, en dehors de cette sphère réduite, nombreux sont ceux qui ignorent encore la signification, le rôle et l'importance de ces reconnaissances de territoire. Cet article peut être un endroit où commencer.
Suite à l'installation d'une plaque commémorative avec une reconnaissance de territoires traditionnels sur la façade du Metropolitan Museum of Art mi-mai, nous avons demandé à nos followers sur Instagram s'ils étaient familiers avec la pratique de la reconnaissance de territoires traditionnels (RTT). 60 % d'entre eux étaient incertains ou totalement étrangers au sujet.
Qu'est-ce qu'une reconnaissance de territoires traditionnels ?
La RTT est la pratique, écrite ou orale, qui consiste à honorer les gardiens autochtones de la terre que l'on occupe. La plupart sont des territoires non cédés et tous ont été, d'une manière ou d'une autre, volés par les colonisateurs. Les reconnaissances de terres sont donc une conséquence directe du colonialisme de peuplement, un type de colonisation dans lequel l'envahisseur occupe et s'approprie de manière permanente les territoires autochtones, au lieu d'en exploiter la population et les ressources au profit du pays colonisateur. Le Canada, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des exemples de colonialisme de peuplement. Les reconnaissances de territoires - et parfois des cours d'eau - sont courantes aux États-Unis dans les conférences scientifiques, les signatures de mail, et sur les sites Web des musées et des universités. Au Canada et en Australie, les reconnaissances de la terre (appelées "reconnaissances de pays" en Australie) sont plus répandues et sont effectuées dans les écoles ou lors de matchs sportifs.
“"Aujourd'hui, les reconnaissances de territoires traditionnels sont utilisées par les peuples amérindiens ainsi que les non-amérindiens pour reconnaître les peuples autochtones en tant les gardiens originels des terres sur lesquelles nous vivons actuellement"
Honoring Original Indigenous Inhabitants: Land Acknowledgement National Museum of the American Indian


Bien qu'elles puissent être générales, les RTT ont tendance à faire référence aux groupes autochtones spécifiques qui se trouvaient, et dans de nombreux cas se trouvent encore, sur le territoire où l'on se situe. Comme nous allons le voir, cette attribution peut parfois s'avérer difficile ou réductrice. Néanmoins, les reconnaissances de territoires sont souvent élaborées en collaboration avec des membres et des détenteurs de savoirs tribaux de ces communautés autochtones, comme c'est le cas pour celles du Fowler Museum et de la Northwestern University
Quels sont les avantages des reconnaissances de territoires traditionnels ?
"Si nous considérons les reconnaissances de territoires traditionnels comme des moments d'interruption, elles peuvent être des actes transformateurs qui, dans une certaine mesure, annulent l'effacement des populations autochtones."
Chelsea Vowel, Beyond territorial acknowledgments
Quels sont les inconvénients des reconnaissances de territoires traditionnels ?
L'un des principaux problèmes que pose la RTT est qu'elle renforce l'idée que les peuples autochtones étaient et sont des entités statiques, figées dans le temps et l'espace - un récit que l'on retrouve par exemple dans la récente exposition intitulée "Les Olmèques" au Musée du quai Branly. Alors qu'en réalité, de nombreux groupes autochtones étaient nomades, souvent déplacés et finalement expulsés de force de leur territoire par les envahisseurs et les colonisateurs. Par conséquent, associer des communautés spécifiques à des frontières géographiques modernes peut parfois s'avérer difficile.
On reproche aussi souvent aux RTT d'être des pratiques superficielles et répétitives visant à faire en sorte que les non-autochtones se sentent bien dans leur peau sans avoir à consacrer beaucoup de temps, d'efforts ou d'argent aux communautés autochtones. Beaucoup d'entre nous, moi y compris, réutilisent les RTT officielles qui ont été élaborées par les institutions dont nous sommes membres sans aller personnellement à la rencontre d'une quelconque nation tribale. Cette action peut ainsi rester superficielle, si elle n'est pas accompagnée d'autres efforts. Au fil du temps, la RTT peut finir par paraître une simple formalité dans le monde universitaire et muséal, un peu comme si l'on remerciait les organisateurs d'une conférence à laquelle on participe, plutôt qu'une action profondément significative.
Pendant ce temps, le grand public se sent encore très détaché de ces pratiques, qui recueillent peu d'intérêt dans les domaines non spécialisés. Par exemple, l'annonce de l'installation de la plaque de bronze avec une RTT sur la façade du Metropolitan Museum of Art n'a reçu que 38 Likes sur Twitter, tandis qu'aucun post n'a même été publié sur le sujet sur leur compte Instagram à ce jour. La plaque elle-même semble intentionnellement vieillie, et nul doute que beaucoup passeront devant elle sans la remarquer en se rendant au musée.
“[…]ces reconnaissances sont censées ressembler à de l'activisme, mais en Amérique, elles n'ont aucune conséquence."
Alex Small, Land Acknowledgments Accomplish Little



Pourquoi devrait-on s'en soucier en Europe ?
Comme indiqué précédemment, la pratique de RTT est profondément ancrée dans l'histoire des États nés de la colonisation de peuplement. Alors, pourquoi les personnes résidant en Europe devraient-elles s'en soucier ? Ayant grandi en France, une nation dont le palmarès regorge de pratiques coloniales atroces, on m'a appris que la colonisation était une action lointaine dans le temps et dans l'espace. Blâmable, certes, mais pas quelque chose dont nous devrions nous occuper en France aujourd'hui. Le fait d'être confrontée à la situation des groupes autochtones dans les Amériques a changé cette perspective. Alors qu'une RTT n'aurait guère de sens en Europe, je me demande s'il n'y a pas moyen d'élucider le passé et le présent colonial dans la sphère du quotidien par une pratique similaire. Non pas par simple culpabilité, mais plutôt comme un moyen de reconnaître notre histoire, en mettant en avant ceux qui ont été rendus invisibles, pour pouvoir avancer ensemble.
En bref
La pratique de la reconnaissance des terres est un point de départ, et non une démonstration d'activisme en soi. Les avis divergent quant à savoir si elle contribue ou non à un changement significatif. Au-delà de la nécessité d'une attitude moralisatrice, la reconnaissance des terres peut favoriser le dialogue, encourager la recherche et mettre en lumière les racines profondes des États coloniaux, qui sont encore bien vivantes aujourd'hui. Parmi les moyens d'action plus concrets, citons le bénévolat et les dons aux organisations autochtones, la signature d'engagements, le soutien aux entreprises autochtones et l'adhésion aux mouvements populaires.
Plus d'informations
Images :
- Plaque commémorative inscrite d'une reconnaissance de territoires traditionnels sur la façade du Metropolitan Museum of Art © Bruce Schwarz, courtesy the Metropolitan Museum of Art
- Designs pour le U.S. Department of Arts and Culture
Marroquin Norby, Patricia and Sylvia Yount, “This is Lenapehoking,” 12 mai 2021, Metropolitan Museum of Art.
“Acknowledgement of Country“, January 28, 2021, Common Ground
Téléchargez le pack digital “Honor Native Land” du U.S. Department of Arts and Culture gratuitement ici.