
Critique en toute honnêteté
Les Olmèques au Musée du quai Branly
par Agathe Torres
Prévue en 2020 et victime des successifs confinements à Paris, l’exposition "Les Olmèques" rouvre ses portes au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris jusqu’en octobre 2021. Le musée a toujours fait l’objet de critiques acerbes dès son ouverture en 2006 : la muséologie, la médiation, le programme entièrement fondé sur un principe ethnographique est encore trop ancré dans des racines coloniales. Quinze ans plus tard, qu’en est-il ? Les collections n’ont fait l’objet d’aucun réaménagement, et les expositions se succèdent. "Les Olmèques" seront notre étude de cas. Une critique honnête et sans complaisance.
Beaucoup de musées aujourd’hui ont malheureusement perdu cette fin, cette exigence d’avant-garde. Certains accumulent des retards phénoménaux en termes de présentation de leurs collections, de mise à jour scientifique, et d’accessibilité de l’information. Etranglés par les pressions diplomatiques et politiques, des questions de budget – l’argent, le nerf de la guerre - les musées plient sous le joug de la rentabilité, de la popularité, véritable supplice de Tantale.
Peut-être suis-je trop exigeante. Peut-être que l’on pourrait aller voir une exposition simplement pour le plaisir. Cette hypothèse est tout à fait valable. Cependant, dans ma vie de tous les jours, je trouve plus intéressant et plus stimulant de me positionner comme en permanente remise en question de tout ce que je vois, crois, et crois savoir. J’essaye de toujours me demander « pourquoi ? » « comment ? » « qui ? », « est-ce normal ? ». Cela n’engage que moi. Mais je crois que ces dernières décennies nous ont montré la force d’une nouvelle génération qui a envie de ce questionnement, de ce changement de paradigme, qui l’appelle à grands cris.
L'exposition
L’exposition intitulée « Les Olmèques » présente en réalité de multiples cultures de l’aire géographique mésoaméricaine depuis les premiers millénaires avant l’ère chrétienne, soit près de trois millénaires d’histoire, le tout classé plus ou moins par thématiques. Ambitieux programme, et déjà, cela m’irrite, que pour des questions de popularité, d’imaginaire intégré, on appelle « Les Olmèques » une exposition qui en réalité présente autant d’œuvres olmèques que non-olmèques et j’en passe. Comme si l'on continuait à tout mettre dans le même panier sous prétexte d’avoir un titre vendeur. J’ai l’impression d’aller au cinéma voir un péplum de mauvaise qualité avec une affiche aguicheuse. Il me semble que cela ne viendrait à l’idée de personne d’appeler une exposition « Les Romains » et d’y parler autant de l’art celte. Eux aussi pourtant, échangèrent. Ces raccourcis sont-ils encore vraiment d’actualité ? N’y a-t-il pas assez à dire seulement sur l’un ou sur l’autre ? Permettez-moi d’en douter. Soyons exigeants ; demandons-nous pourquoi.


On rentre dans l’exposition et le premier texte que l’on lit mentionne le conquistador Cortès. Encore, une fois, je sais être particulièrement pénible, mais est-ce vraiment nécessaire ? Doit-on mettre en avant la colonisation et la figure visiblement indétrônable de Cortès à chaque fois que l’on évoque le continent américain en Europe ? Alors, bien sûr, qu’on le veuille ou non, la colonisation fait partie de l’histoire du continent, et il ne faut pas faire comme si elle n’existait pas. Mais dans une exposition scientifique sur l’art d’un peuple qui, par ailleurs, n’a aucun rapport historique avec ledit Monsieur, est-ce nécessaire ? L’effort de sortir de l’œil du Conquistador devrait être fait depuis des décennies.
Quand je visite une exposition dans le but de la juger, je voudrais à la sortie faire un sondage et demander aux visiteurs : qu’avez-vous appris ? Qu’avez-vous retenu ?
Parmi les choses qui m’ont manquées dans cette démonstration, on peut citer la stylistique, l’histoire de l’art à proprement parler. Dans des cartels qui restent pour la plupart très élémentaires, on continue de nous expliquer sous combien de couches de poussière on a trouvé telle ou telle pièce. Mais pas comment le style de la statuaire est passé d’une stylisation presque géométrique à une délicatesse des formes et des tracés, quand de telles oeuvres sont exposées côte à côte. La présentation des civilisations anciennes du continent américain reste ancrée dans l’archéologie. Certes c’est un pilier fondamental de l’histoire d’un objet et d’un contexte, mais cette tendance continue à positionner ces œuvres comme, quelque part, « à côté » de l’histoire de l’art – alors qu’on peut disserter des heures sur les pliures de fesses d’un Rubens, ou les orteils des saints d’un Caravage.
Cela me dérange que l’on se sente constamment obligé de mettre des photos d’époque de fouilles pour illustrer le propos. Comme s’il fallait nécessairement célébrer les travaux d’archéologues du siècle dernier, qui pour la plupart tenaient des discours – ancrés dans l’époque certes, mais tout de même – racistes, suprématistes et euro-centrés. Je suis persuadée que beaucoup de travaux d’universitaires actuels seraient bien plus innovateurs. Il y a « histoire » dans « histoire de l’art », oui. Mais parle-t-on autant des archéologues quand on évoque les silex de l’homme de Neandertal ? Je suis dérangée qu’aucune culture descendante ou communauté héritière ne soit mentionnées.
Je me frustre que beaucoup de cartels mentionnent encore le « mystère » des civilisations, des motifs « dont on ne sait rien ». Je me désole que les expositions continuent d’aborder à la louche des périodes des temps gigantesques et près de 5 civilisations différentes dans quelques 100 mètres carrés, ce qui forcément, amène à un mélange hasardeux et un survol global de chaque thématique.



Réalité des faits
Cette critique au vitriol ne signifie bien évidemment pas que toute l’exposition est à jeter par la fenêtre. Les œuvres, pour la plupart, sont belles, et bien mises en valeur, certains prêts n’ayant jamais été exposés en France. Certains cartels, notamment ceux sur le compte long, sont bien faits et instructifs, et il y a quelques efforts notables de muséographie, comme pour la Mujer Escarificada de Tamtoc, véritable chef-d’œuvre. Il en va de même pour les vidéos explicatives qui ponctuent l’exposition et qui sont bien construites.
De plus, ma critique se fait en toute connaissance de cause des problématiques auxquelles font face les conservateurs de musée aujourd’hui dans la réalisation d’’une exposition. Il ne faut pas ignorer que le résultat d’une exposition est bien loin de la réalité de la conception initiale de la personne l’a pensée. Rapidement au tour de table décisionnel s’invite la politique, le budget, la médiation, les espaces, un tout un tas de limites insurmontables qui rendent le travail de conservation ardu. De plus, rentre en compte les facteurs d’accessibilité de l’information ou de balance dans la dose. Autant de choix qui sont des choix politiques, mais n'en sont pas pour autant aisés.
Que veut-on ?
Dans notre société actuelle qui avance à la vitesse que nous connaissons, on a le sentiment que les musées s’embourbent dans des codifications créées il y a des centaines d’années dans autre monde, et qu’ils se sont figés dans le temps. Depuis la pandémie, certaines institutions ont souffert de près d’une année de fermeture au total. On aurait aimé voir une réouverture innovante, révolutionnaire, un nouveau point de vue, on aurait rêvé que cette pause forcée laisse place à une nouveau paradigme, place le curseur loin des vieux réflexes ancrés de colonialisme, de muséographie, de médiation, que les musées rejoignent l’exigence des peuples pour un changement radical, une entrée dans le 21ème siècle en somme. Quel est le rôle, la position du musée aujourd’hui, dans les actes et pas dans les belles définitions de l’ICOM. Je crois qu’il est temps, d’observer des changements radicaux dans nos sociétés et dans les institutions qui en sont les gardiennes.
Je suis dure avec le quai Branly. Ca ne veut pas dire qu’il ne faut plus y mettre les pieds. Mais pour un musée d’une telle ampleur et d’une telle renommée, je me pousse à avoir l’exigence qui va avec. With great power comes great responsibility. On aimerait que l’institution se fasse honneur par une vision moderne, innovante, une force de proposition.
Pour le reste, je vous invite à aller voir l’exposition de vos propres yeux.

Plus d'information
Les Olmèques et les civilisations du Golfe du Mexique
Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, Paris
From October 9, 2020 to October 3, 2021
Cora Falero Ruiz (Conseillère scientifique, Museo Nacional de Antropología, Mexico) and Steve Bourget (Archéologue et conservateur du département des Amériques, musée du quai Branly- Jacques Chirac)
L'exposition est organisée en collaboration avec le Secretaría de Cultura, México et le Instituto Nacional de Antropología e Historia (INAH).